Quels sont les avantages de jouer de mémoire ? Je parle surtout pour les pianistes amateurs (de plus en plus de concertistes jouent avec partition). Question subsidiaire : comment mémoriser ? Est-ce simplement une question de répétitions, où existe t-il des méthodes éprouvées?
Lorsque je suis capable de jouer un morceau de mémoire, j'ai le sentiment de le maîtriser et de pouvoir enfin l'interpréter. Je ne me sens plus en quelque sorte accroché aux notes. Je n'ai pas ce sentiment de liberté lorsque je lis la partition.
Concernant la mémorisation, je dois dire que cela s'effectue de manière assez naturelle, sans que je ne m'en rende vraiment compte. Lorsque certains passages d'un morceau me posent des problèmes de mémoire, je les décortique mains séparées et essaie de comprendre ce qui se passe harmoniquement. Puis bien sûr je répète le passage autant de fois que nécessaire en l'enchaînant ensuite avec ce qui précède et ce qui suit.
La pianiste Marie-Josèphe Jude donne plein d'astuces sur la manière de mémoriser un morceau dans ses cours sur Jejouedupiano.com
Je ne vois aucun avantage particulier à jouer de mémoire lorsque l'on a pris l'habitude de jouer en public avec partition. Cela peut même devenir une libération, tant la peur du trou de mémoire est parfois paralysante. Mais en ce qui me concerne la question ne se pose pas puisqu'en concours la partition n'est pas admise, hormis pour le répertoire contemporain.
Concernant le processus de mémorisation, j'ai remarqué que cela se passe toujours en deux étapes. La première est une assimilation que je qualifierais de tactile puisqu'elle s'effectue automatiquement par la répétition des différents passages au cours du travail. Je parviens parfois, selon la complexité de l'écriture, à jouer le morceau par coeur sans autre travail spécifique. Mais cette mémorisation est fragile et donc insuffisante. Je la complète par un travail sur la partition, hors du piano, qui consiste à analyser la partition en profondeur. J'identifie les thèmes et note les grandes parties qui forment la pièce (par exemple: exposition avec 1er thème, 2ème thème, développement, réexposition). Ensuite, je localise les modulations et lis la partition mesure par mesure pour suivre les enchaînements harmoniques. Enfin, lorsque certains passages se répètent, je note les changements qui peuvent intervenir et qui sont parfois difficiles à mémoriser.
Parmi les amateurs, avec seulement quelques petites années de piano derrière soi et sans posséder le bagage théorique sur lequel s'appuie Richard, connaissez-vous aussi ce problème ? je mémorise relativement vite, joue le morceau de mémoire mais au bout de quelques jours, je suis incapable de jouer en suivant la partition. J'ai l'impression de devoir réapprendre à déchiffrer le morceau. C'est pourquoi, en ce moment, je me force à jouer en lisant et je fais beaucoup d'exercices de lecture de notes. Et vous ? Comment faites-vous pour remédier à cette difficulté ?
Isabelle, je pense qu'il est important de suivre la partition jusqu'a ce que l'on la connaisse parfaitement. A ce moment et seulement a ce moment, il est possible de commencer a la memoriser. Mais c'est une erreur que beaucoup de pianistes amateurs et/ou debutants font. Il faut vraiment travailler lentement, ne pas precipiter les choses, suivre les doigtes indiques et ne pas commencer a toute allure. Le probleme, c'est qu'une fois memorise, il est tres difficile de revenir sur ses erreurs. Ca demande une assez bonne pratique et surtout, il faut recommencer a travailler lentement pour que l'erreur disparaisse. Donc vraiment vraiment vraiment, j'insiste sur ce point, vous semblez avoir une tres bonne memoire, mais si ne vous maitrisez pas totalement votre partition, mieux vaut eviter le par coeur au debut.
Bonjour Julie,
Merci beaucoup pour vos éclaircissements et conseils. En fait, le processus de mémorisation est automatique, je ne commence pas à mémoriser de manière consciente, peut-être est-ce dû aussi au fait que je travaille une partition assez régulièrement sans piano pour des raisons de temps disponible relativement restreint.
Je travaille donc mentalement, je ne vois alors plus les notes écrites mais uniquement et très exactement la position des mains sur le clavier.
Toujours est-il que je vais revoir un petit peu ma méthode de travail.
Bonne journée
Pour moi ce n'est pas compliqué, cela se fait automatiquement et de manière surprenante, c'est "UN" soir lorsque je m'apprête à dormir que, sans y penser particuièrement, je "me vois" jouer mon morceau sans hésitation : placement des doigts, technique.. et l'interprétation qui en découle.. mais cela vient après beaucoup de travail sur le morceau, ce n'est donc pas si fréquent! Je suis d'ailleurs persuadée que le cerveau travaille aussi la nuit lorsqu'on joue régulièrement.. Finalement du coup, je ne cherche plus à "travailler" la mémoire, puisque j'ai un indicateur automatique! peut-être d'autres personnes vivent la même chose?
Je ne recherche pas à tout prix la mémoire, même si pour ma part jouer sans partition me permet de mieux ressentir le morceau et vivre sans parasite les émotions, mais c'est très personnel, chacun a sa propre "qualité de réception" des émotions..
Excellente discussion ! A mon époque, si j'ose dire, la mémorisation était une chose que l'on forçait, la mémoire une sorte de muscle que l'on exerçait sciemment : les professeurs exigeaient, par exemple, de rendre "par coeur" (qui n'y est pour rien) toute la main gauche de sa valse de Chopin pour la leçon suivante, ou encore d'être capable de jouer chaque présentation d'un même thème d'une fugue de Bach.
Or certains d'entre vous parlent de "mémorisation inconsciente", voire "automatique". ça m'intéresse beaucoup
Personnellement, j'ai plutôt tendance à penser que le travail de mémorisation se prépare, donc se facilite, avant même d'approcher le clavier : en étudiant ses doigtés, en analysant la structure du morceau... Dans le travail, même, on peut également rechercher des similitudes, se créer des points de repère.
En la matière (chacun son expérience !) je crois peu aux vertus de la répétition, mais j'aimerais savoir comment vous procédez, les uns et les autres. Est-ce que vous suivez des formules, par exemple ? Répétez-vous une page, une ligne, plusieurs fois de suite ? Testez-vous la mémoire en retirant la partition du pupitre ?
Bonsoir, je suis tout à fait d'accord avec vous Julie. Lorsque je choisis un morceau à travailler sur le site, j'apprécie de pouvoir entendre encore et encore l'oeuvre jouée par le professeur (et le voir si possible). Il y a de cette façon déjà un "pré-travail" précieux de fait..Lorsque je suis ensuite au piano, je "revois et réentends" le professeur (son jeu, ses directives) et cela m'offre une avançée sur la mémorisation, en tout cas assurément un travail fiable et de qualité, ce que je recherche avant tout. Pour cela, bravo encore pour le site!
Julie DEVAUX PARK dit:
Bonjour Cyrus, Pour répondre à votre question, la mémorisation se fait inconsciemment. Il ne sert à rien de précipiter les choses. Nul besoin d'apprendre une ligne l'une après l'autre. Il suffit simplement de connaître son texte sur le bout des doigts.
La question est justement de savoir comment y parvenir. Comment arrive t-on à connaître son texte "sur le bout des doigts" (pour reprendre votre expression) ? Quelle méthode utilisez-vous ?
A mon sens, on joue bien mieux de mémoire qu'avec la partition. On est totalement dans son jeu, on fait passer une émotion.
Avec la partition, pour moi c'est comme un acteur qui récite son texte.
Pour Richard qui demande comment arriver à connaître son texte par coeur, je te donne ma petite méthode..
J'apprends la mélodie en chantant les notes (je peux chantonner avec les notes tout un Nocturne de Chopin ainsi..)
Puis vient la main gauche, je la travaille seule
Quand je la sens à point, je chante la mélodie en jouant la main gauche seule..Et là le mécanisme fonctionne.
Un grand pianiste disait, le piano c'est 60% les doigts, 40% la tête...je ne sais plus qui c'est..
Merci pour votre réponse Julie. Vous avez écrit: "il est important de suivre la partition jusqu'a ce que l'on la connaisse parfaitement. A ce moment et seulement a ce moment, il est possible de commencer a la memoriser".
Ma question était donc de savoir comment vous vous y prenez ?
Bienvenue dans cette discussion Sébastien. Si vous reprenez le début du fil je parle justement de deux étapes: une assimilation que je qualifierais de tactile (mais cette mémorisation est fragile et donc insuffisante) puis un travail sur la partition, hors du piano, qui consiste à analyser la partition en profondeur, harmoniquement et sur le plan formel.
Concernant la transposition des fugues, c'est un travail certainement excellent mais pas à la portée de tout le monde, vous en conviendrez.
Julie, je pense que c'est juste une question d'habitude. Richter ne jouait qu'avec partition à partir d'une certaine époque. Et aujourd'hui comme le précise Luc, beaucoup de pianistes jouent avec partition, même en récital seul (Pogorelich par exemple que j'ai entendu il y a quelques semaines).
Richard Jouvet dit:
Bienvenue dans cette discussion Sébastien. Si vous reprenez le début du fil je parle justement de deux étapes: une assimilation que je qualifierais de tactile (mais cette mémorisation est fragile et donc insuffisante) puis un travail sur la partition, hors du piano, qui consiste à analyser la partition en profondeur, harmoniquement et sur le plan formel.
Concernant la transposition des fugues, c'est un travail certainement excellent mais pas à la portée de tout le monde, vous en conviendrez.
Bonjour Richard
Merci de votre réponse. Transposer des fugues est une tâche ardue, c'est vrai, et je prenais un exemple fort, mais pour le reste, nous sommes sur la même ligne, puisque nous parlons de différents processus de mémorisation (Julie, vous le rappelez dans le dernier message). Surtout quand vous dites que l'assimilation tactile est insuffisante (je réserverais le "fragile" aux plus jeunes ou à ceux qui ont moins de temps à consacrer à l'instrument). Mais "jouer de mémoire", comme on dit, c'est l'aboutissement d'un travail, c'est aussi la preuve du travail ! Est-ce indispensable ? Vous citez Richter, mais il a expliqué lui-même, dans l'interview avec Monsaingeon, qu'il n'entendait plus la musique à la bonne hauteur dans les basses, donc dans son cas, c'est la partition, qui était indispensable... sinon il ne trouvait plus son chemin sur le clavier.
Je crois qu'on pourrait creuser comme ça la question : jouer de mémoire n'est pas indispensable si l'on finit par s'éloigner involontairement du texte. ça m'est arrivé, par exemple ! On est persuadé de telle nuance, de telle indication de caractère... et en se reportant au texte on se rend compte qu'on est dans l'erreur
Vous donnez une synthèse parfaite, Catherine ! Le pianiste Jean-Philippe Collard a raconté un jour comme Horowitz en personne lui avait demandé comment il parvenait à mémoriser la musique de Fauré, notamment les derniers Nocturnes (je n'entrerai pas dans le détail du pourquoi, on irait trop loin en matière de modes et tonalités). Collard avait alors dévoilé l'importance d'une mémoire kinesthésique, du corps tout entier... poésie du mouvement dans l'espace.... Je connais des pianistes professionnels qui mémorisent des partitions entières, disons une Sonate de Schubert, comme les grands skieurs une descente, ou les pilotes de voltige leurs acrobaties aériennes. Voilà une "piste" à creuser, si j'ose dire !
Cette discussion est vraiment intéressante car elle donne un certain nombre d'éléments de réponse à un problème que rencontre beaucoup de pianistes amateurs.
Si je reprends les propos de chacun, on peut donc dire que l'on utilise quatre types de mémoire pour mémoriser un morceau: la mémoire auditive, la mémoire visuelle, la mémoire kinesthésique et la mémoire analytique.
La mémoire auditive entend et retient la musique. Elle permet lors de l'exécution d'un morceau de savoir si l'on joue les bonnes notes et d'anticiper sur ce qui va suivre dans les prochaines mesures.
La mémoire visuelle est une sorte de photographie de la partition, que le pianiste voit défiler dans sa tête lorsqu'il joue un morceau.
La mémoire kinesthésique est celle qui lui permet de se souvenir de tous les mouvements (sauts, élans, changements de direction, etc), de toutes les sensations physiques (fermeté des doigts, souplesse du poignet, mobilité des coudes, etc.) dont il aura besoin à un moment précis au cours du morceau.
La mémoire analytique est celle qui comprend aussi bien les éléments les plus simples (notes, rythmes, nuances...) que ceux qui concernent la forme, la structure des phrases, le cheminement harmonique, etc. Et contrairement aux trois autres types de mémoire qui entrent en action naturellement et à l'insu du pianiste pendant qu'il travaille et répète la partition, la mémoire analytique s'acquiert à la suite d'une démarche intentionnelle du pianiste.
Le processus de mémorisation ne me paraît donc être complet que lorsque ces quatres types de mémoire sont activés. Les mémoires auditive, visuelle et kinesthésique, bien qu'essentielles, ne permettent pas à elles seules de retenir tous les détails et toute la complexité d'un texte musical.
Bonjour,
Pour ma part, j'ai commencé le piano très tard (après 50 ans). Je dois dire que j'ai une excellente mémoire. Mais je travaille différemment selon que je joue avec partition ou sans partition. Je veux dire, si je décide de mettre un morceau à mon répertoire parce que je l'aime beaucoup, j'apprends mon morceau par coeur de suite car sinon c'est fichu et je suis scotchée à la partition. Je travaille d'abord la partie intellectuelle, j'analyse le morceau. Ensuite je travaille mesure après mesure en commencant par les difficultés majeures du morceau, le reste va tout seul ensuite, et je travaille en boucle quand je je peux pour la mémorisation et la mémoire des doigts. Ce que je fais toujours par contre c'est d'écouter le son et faire en sorte qu'il soit beau même si je vais lentement. Je termine toujours ma séance de travail par un jeu lent et les mains séparées d'abord et lent mains ensembles ensuite. Le reste du travail se fait quand je dors ou entre deux séances.
j'ai pris aussi l'habitude de travailler un autre répertoire avec partitions, pour me perfectionner dans la lecture et le déchiffrage.
Je viens de lire un entretien passionnant, dans la presse, avec Marc-André Hamelin, grand pianiste actuel, qui dit que le jeu de mémoire est indispensable devant son public, sans quoi jouer du piano n'est plus un plaisir artistique mais "s'apparente à une activité de bureau", on pose son livre sous son nez et on fait la lecture. J'ai trouvé cela très juste. Qu'en pensez-vous, les uns et les autres ?
Je suis d'accord sur le "plaisir artistique" , il est à mon sens à son apogée lorsqu'on joue de mémoire, il permet une totale "libération" émotionnelle. Mais de là à dire qu'avec partition cela revient à une "activité de bureau" .. il vaut mieux jouer avec partition que sans si l'on n'a pas assez confiance, ou pas assez de maîtrise de l'oeuvre. Car jouer de mémoire impose une perfection et une assurance sans faille! et lorsqu'on y parvient, c'est le top!
Je pense que jouer de mémoire permet en quelque sorte de ce libérer de la partition et de ce concentrer sur l'interpretation. Le danger etant également d'apprendre des erreurs si on a mal ou pas suffisament fait attention a la partition à la base
Bonjour,
Je pense qu'il est indispensable de jouer de mémoire pour se libérer du texte. Mon expérience est que la mémoire automatique (celle des doigts) ne tient pas lors d'une exécution en public. Au travail de mémorisation des doigts, de mémorisation visuelle doit se rajouter (particulièrement avec JS Bach) un travail de mémorisation qui consiste à jouer les mains de mémoire (et les voix dans le cas d'une écriture en contrepoint) en chantant ou disant les notes sans faire d'erreur. Si en plus de cela on est capable (et je n'y arrive que rarement, car c'est extrèmement difficile et prend beaucoup de temps) de jouer une main en chantant l'autre qui ne joue pas, alors la mémorisation sera fiable même en situation de trac.
Et si on ne veut pas jouer de mémoire, alors il faut être capable de jouer en fixant la partition sans regarder les doigts, sinon accident si trou de mémoire pendant un passage joué en regardant ses doigts (donc de mémoire) qui fait que dans ce cas on est perdu et on ne sait plus où on était dans la partition ! Cela m'est arrivé récemment dans une oeuvre de Mendelssohn, pas gai !
Le pianiste qui ne se pose pas la question est celui qui doit déchiffrer ses partitions en Braille. Il n’a tout simplement pas le choix que de jouer de mémoire. Je trouve bien complexe ces histoires de mémorisation analytique ; personnellement je m’en tape quand je déchiffre. L’analyse se fait naturellement au cours de la maîtrise du morceau. Quand je travaille une œuvre, je mets tout en jeu en même temps : la mémoire auditive, la mémoire kinesthésique (obligatoire si on a des sauts d’octave). Pour moi, pas de mémorisation « visuelle », je ne me représente pas la partition écrite.
Bonjour à tous,
Le sujet de la mémoire me passionne, ayant moi-même eu des difficultés à mémoriser sans erreur ni hésitations lorsque j'étais étudiant au conservatoire.
Plus tard, j'ai appris et compris qu'il y avait plusieurs types de mémoire qui se combinaient. Et j'ai compris pas mal de choses grâce à l'harmonie, entre autre. J'ai surtout eu l'occasion de tester et constater dans les 8 ans de mon parcours d'enseignant les méthodes qui fonctionnaient chez mes élèves, comme les erreurs courantes à éviter.
Il s'agit souvent d'habitudes, de réflexes de pensée etc. Avec une bonne méthode et une analyse des liens logiques entre les notes (notamment grâce à l'harmonie), je pense qu'on a tous de grandes possibilités d'évolution de notre mémoire musicale, peu importe l'âge et les habiletés techniques.
Ce sujet m'intéresse beaucoup et il y aurait encore beaucoup à en dire. J'ai d'ailleurs récemment écrit un article sur le sujet dans le quel je développe différents points : étude américaine sur le fonctionnement de la mémoire chez les étudiants qui révisent leurs examens, bilan d'un défi durant lequel j'ai appris par cœur et enregistré un morceau par jour pendant 30 jours, les 3 erreurs à éviter et les 7 outils à développer.
https://liberer-son-piano.com/memoriser-au-piano/